Après plus de dix mois de violences et de déplacements massifs, les gangs affirment vouloir la réconciliation, mais la inhabitants hésite entre espoir, peur et méfiance.
Après plus de dix mois d’attaques incessantes dans plusieurs quartiers populaires de la capitale, la coalition criminelle « Viv Ansanm », ayant pour porte-parole l’ancien policier Jimmy Chérizier alias Barbecue, appelle désormais à la paix. Une annonce qui suscite scepticisme et inquiétude parmi les habitants de Solino, Nazon, Delmas 30, Christ-Roi et citoyens d’autres quartiers, qui ont payé le prix fort de cette guerre des gangs.
Dimanche 24 août dernier, lors d’une manifestation pacifique, de nombreux déplacés ont bravé la peur pour se rendre à Solino et à Delmas 30, afin de constater l’état de leurs habitations. Des pictures partagées sur les réseaux sociaux ont révélé l’ampleur des destructions : maisons incendiées et pillées, portes arrachées, toits effondrés ou volées. Beaucoup de familles se retrouvent face à l’impossibilité de réintégrer leurs demeures sans réparations lourdes et coûteuses.
« Nou ta renmen retounen lakay nou, males nou pè ankò lè n sonje sa okay te rive nou oubyen yon pwòch nou. Epi zòn yo kraze, ou santi sant gè a la toujou», ont confié plusieurs sinistrés à Juno7, encore marqués par la terreur des derniers mois. Certains, qui vivent actuellement dans des abris provisoires comme ceux de l’Workplace de la Safety du Citoyen (OPC) ou à l’École Nationale Argentine Bellegarde, affirment être prêts à rentrer si la paix est réelle. D’autres, au contraire, se disent catégoriques : jamais ils ne remettront les pieds dans ces quartiers meurtris.
« On pourrait bien m’offrir de l’or et des diamants, je ne retournerai pas à Solino sous l’autorité de ces gangs qui ont causé la mort de ma cousine d’une balle perdue. C’est vrai que je vis dans de mauvaises situations dans l’abri provisoire, mais je préfère rester ici. On ne doit pas faire confiance aux paroles qui sortent de la bouche des gangs. Une mafia reste une mafia », lâche sévèrement une mère de famille.
Le porte-parole de « Viv Ansanm » avait annoncé la semaine dernière sur les réseaux sociaux son intention de faire la paix avec plusieurs zones rivales, en invitant les habitants à « revenir ». Mais cette offre divise.
Pour certains, cette réconciliation est une nécessité, automobile « tout le monde est victime ». D’autres y voient une manœuvre tactique destinée à préparer de nouvelles offensives dans les prochains mois. « C’est une paix imposée, pas une paix sincère », commentent plusieurs observateurs.
À Christ-Roi, les brigadiers appuyés par la police locale rejettent catégoriquement toute négociation avec les bandits. Après avoir résisté pendant des mois aux assauts, ils refusent de tendre la fundamental aux mêmes hommes qui ont incendié des maisons et assassiné des proches.
« Ce serait trop facile pour une bande d’hommes qui ont tué des innocents, détruit des maisons, puis, du jour au lendemain, affirment vouloir la paix. Et toutes les exactions commises ? On devrait simplement oublier ? Cette paix, je n’y crois pas », déclare un brigadier sous couvert d’anonymat.
Depuis l’appel à la paix, de nombreux habitants affirment avoir circulé à Delmas 30, Solino et Nazon sans crainte, ce qui était impensable il y a encore quelques semaines. Des zones autrefois considérées comme « rouges » semblent connaître un relatif répit.
D’autres habitants, qui ont tenté de regagner leurs maisons, témoignent aussi de leur désillusion. « Depuis qu’ils ont annoncé la paix, je suis retournée chez moi. Je n’ai pas croisé de gangs, mais ils ont volé toutes mes affaires et incendié la maison », raconte une dame.
Cependant, cette accalmie reste précaire : les traumatismes demeurent, et aucune garantie institutionnelle n’guarantee que les gangs ne reprendront pas leurs activités violentes.
Un autre habitant souligne l’absurdité de la state of affairs : « Un quartier ne peut pas être complètement ravagé par un groupe armé et ce sont ces mêmes gangs, toujours présents, qui viennent ensuite dire aux habitants de rentrer chez eux, qu’ils veulent la paix… »
Vue aérienne du quartier solino, ravagés par les gangs Viv Ansanm.
Silence de l’État et incertitude populaire
Jusqu’à présent, les autorités de l’État n’ont fait aucune déclaration officielle concernant cette supposée paix. Ni la Police Nationale d’Haïti (PNH), ni les représentants du gouvernement n’ont indiqué si une stratégie de sécurisation était prévue pour accompagner un éventuel retour des habitants.
Cette absence de place officielle plonge la inhabitants dans l’incertitude. Faut-il retourner à Solino, Nazon et Delmas 30, ou rester dans les abris provisoires?
Il faut rappeler que le gang « Viv Ansanm » avait pris le contrôle de Solino après la mort du policier Jeff, abattu le 13 novembre 2024. L’assassinat avait provoqué la fuite huge de la inhabitants, et quelques jours plus tard, le quartier tombait totalement sous la coupe des bandits. Aujourd’hui, moins d’un an après, ces mêmes hommes appellent à la réconciliation.
Pour l’heure, cette initiative est perçue comme un paradoxe : ceux qui ont détruit des vies et des quartiers demandent maintenant à la inhabitants de revenir. Entre espoir de retrouver un semblant de normalité et crainte d’un piège, les habitants oscillent entre deux choix difficiles : rentrer chez eux malgré les ruines ou continuer à vivre dans des situations précaires dans les abris.
La paix, si elle existe, reste fragile. Et tant que l’État ne se prononcera pas clairement sur la sécurisation de ces quartiers, les habitants de Solino, Delmas 30, Nazon et Christ-Roi resteront dans l’incertitude, pris entre la volonté de reconstruire et la peur de revivre l’horreur.
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