Gangs et conservateurs : le désir de brûler


Je ne pouvais imaginer que trois mille et quelques signes que la plupart des gens qui les commentent semblent n’avoir pas lus avaient la capacité de provoquer des réactions d’un tel quantity et d’une telle violence. Au level d’utiliser des fake noms, de lancer des menaces…

Je souris à l’indignation de quelques affairistes du milieu culturel et charognards de la fonction publique et de quelques autres, mal dans leur peau, auxquels j’ai offert l’event de bouffer du Trouillot. A chacun son plaisir…

Les vrais enjeux sont ailleurs. Et c’est justement tout appel à penser cet ailleurs qui fait rager et enrager. Parlons des injures dont l’une des propriétés est d’informer sur ceux qui les lancent. Ceux qui les signent ouvertement. Ceux qui se cachent derrière des fake noms.

Les « jeunes » ne liraient pas. Et voilà le mépris social. Pour fréquenter des jeunes issus de milieux modestes et inscrits dans un parcours scolaire ou universitaire, ils lisent… quand les livres arrivent jusqu’à eux. Ils ne se contentent pas de cela. Ils cherchent les livres, se partagent ceux qu’ils trouvent. C’est l’injustice sociale et l’appropriation des biens et companies culturels qui font impediment à leur soif de lecture. Et quand ils cherchent à apprendre, on les traite de « désoeuvrés ». Un garçon, ou, pire, une fille venant de Cité Soleil ou d’une part communale oubliée, fréquentant un atelier d’écriture, ce ne sont que des « désoeuvrés ».

Je serais « populiste ». (Un mot dont l’utilization me paraît de plus en plus suspect.) Pourquoi ? De dire qu’on tue, brûle, viole, bloodbath sans que cela ne semble produire une as soon as d’indignation chez les récents grands indignés. Les policiers tués en protégeant nos biens, leurs décès soulèvent-ils la moindre indignation ? Les morts de Lascahobas, (les événements sont simultanés) ne méritaient pas une obscure d’indignation au moins égale à celle soulevée par l’incendie d’un hôtel ? Si c’est être populiste de parler de ces gens-là et de dire que l’indignation ne peut être sélective, alors je veux bien mourir populiste.

Je serais encore « merciless », « méchant », « criminel » ( les sanctions suggérées étant tantôt de brûler mes livres, tantôt de brûler ma personne, proposition très proche du langage et des pratiques des gangs) de ne pas « nous » laisser faire « notre » deuil ! Mais qui est donc ce « nous » ? Le nombre de ces jeunes, qui selon certains ne lisent pas, à m’avoir demandé : mais de quoi parlent-ils ? J’ai passé les vingt dernières années de ma vie à écrire que ce pays ne produit pas de sphère commune de citoyenneté. Plutôt que de s’en rapprocher, il s’en éloigne. Il n’y a pas de « nous » parce que les pratiques sociales, les systèmes de représentations sont fondés sur des mécanismes d’exclusion et de domination qui perdurent en se dégradant. Pour les uns, quand brûle l’Oloffson, ce n’est ni leur bien ni leur mémoire qui brûle. Pour les autres, quand vivent dans des situations abominables des gens qui en plus peuvent se faire tuer à n’importe quel second, ce sont des Autres. Ici, les gens ne portent pas les mêmes deuils. Les ressentis collectifs, dans leur opposition, sont marqués par le mépris, l’indifférence et le ressentiment. Et ce qu’on veut m’interdire de donner à lire, voire de tenter, c’est la réflexion sur les situations de manufacturing, les processus économiques, sociaux et idéologiques qui ont conduit à cette state of affairs de fracture sociale insurmontable sans une rupture profonde avec les fondements mêmes de la fracture. C’est cela qui emmerde profondément.

Mais on va plus loin que l’interdiction de donner à lire. On réclame la mise à mort. Un(e) ou des Barbecue, utilisant de manière perfide le nom d’une artiste connue, ajoutent, comme un conseil aux gangs, un raffinement au supplice du feu : jeter le cadavre dans les latrines. Le feu pour résoudre les contradictions. Le silence : il aurait dû se taire. N’est-ce pas ! Il a osé parler : brûlons-le. Le feu en opposition au langage. Une preuve encore, s’il en fallait, de la state of affairs d’incommunicabilité que vit ce pays. Comme il y a des choses qu’on ne veut pas entendre, on suggest de tuer ceux qui les disent. Comme on ne peut pas transformer les rapports sociaux pour créer des liens habitables pour tous, tuer « l’ennemi ». La violence, comme resolution, n’est pas que l’apanage des gangs.

Et puis le mensonge. La calomnie. Tous les coups sont bons. On cherche à lever une brouille avec des amis et des collègues. Me voilà raciste. Tortionnaire. Homophobe. Celle-là, je ne l’avais jamais entendue. On m’avait plutôt reproché ma place claire sur le droit à l’orientation sexuelle. Me voilà tout et n’importe quoi. Mauvais écrivain de surcroît. Sur la qualité littéraire de mes écrits, je n’ai rien à dire. On ne peut pas écrire et décider de la réception. ! La littérature, comme la politique, est le terrain de la polémique, puisqu’elle produit du sens et interprète le monde. Voilà encore quelque selected que le conservatisme qui veut que tout soit lisse ne peut pas entendre. Paz et Fuentes. Sartre et Mauriac. Roumain et Laleau. Antonio Lobo Antunes et José Saramago… Ecoles, tendances opposées. Visions différentes des enjeux esthétiques et des enjeux sociaux. La littérature, auteurs et lecteurs compris, n’a jamais mis tout le monde d’accord. C’est regular, Cela n’a rien à voir avec l’engagement dans des pratiques collectives pour lui permettre d’exister.

Et où ai-je applaudi à l’incendie de l’Oloffson ? Je n’applaudis pas aux mises à mort. Un hôtel désaffecté brûle. Il a une histoire. Une longue histoire. Il représente selon certains un joyau du patrimoine architectural. Sur les dernières années avant sa fermeture, il n’est déjà plus le haut lieu de tradition qu’il a été. Le quartier dans lequel il est situé, la ville dans laquelle il est situé sont des lieux de violence où tout se dégrade. Il ne signifie rien pour les jeunes, pour les jeunes des quartiers défavorisés. Au second où on y met le feu, brûler est devenu une habitude. Des hôpitaux. Des résidences privées. Des establishments de toutes sortes. Pire, tuer est devenu une habitude. Dans la semaine de l’incendie, des morts par balles. Mais c’est depuis des années que destructions, massacres, assassinats, populations déplacées font la vie quotidienne. La violence règne, comme une drogue à accoutumance. Il faut lire la triste fin de l’Oloffson comme un symptôme d’un processus international en incluant dans la lecture les rapports différenciés à cette fin : la nostalgie, l’indifférence… Les indignations sélectives sont elles-mêmes le symptôme de quelque selected. C’est cela qu’il ne faut pas dire ? C’est de tenter de dire cela qui me vaut un faisceau d’injures semblant de plus en plus points d’un laboratoire d’abattage de la critique sociale ? Ce flot, c’est une entreprise politique qui, chez les plus naïfs, ne sait pas son nom, mais qui est bien pensée par les idéologues.

Avec mes camarades « désoeuvrés », il nous est arrivé de travailler sur un poème de Victor Hugo : La ville disparue. Bamboche, débauche, injustice. Il y a la mer en dessous qui fait son lengthy travail de destruction. Un jour la ville est engloutie. Ici, ce n’est pas la mer. Ce sont les injustices sociales qui, dans leurs expressions contrastées, volonté de maintien, conservatisme, révoltes chaotiques, perversions des discours revendicatifs… produisent la ruine, la mort et la désolation. J’en parle dans mon prochain roman qui se vendra sans doute à soixante exemplaires. En cumulant les ventes de l’édition française et de l’édition haïtienne. Quand je publie un livre à l’étranger, je fais une édition haïtienne, de qualité, mais coûtant moins cher, de sorte qu’au pays des détresses orphelines, les « désoeuvrés » « qui ne lisent pas » trouvent au moins quelque selected à lire qui reconnait leur humanité et leur offre matière à dialogue sur leur situation et ce pays dans lequel rien n’est fait pour qu’il devienne leur. En plus, le produit de la vente sur laquelle je ne tire aucun revenue sert à publier de nouveaux auteurs. Je ne suis pas le seul à le faire. Il y a de nombreuses pratiques de ce sort. Si l’on veut parler de patrimoine, analysons les pratiques qui l’aident à naître, se développer, se conserver. Qu’il est facile de pleurer la mort des choses quand on n’a jamais levé le petit doigt pour les aider à vivre…

Autre symptôme. Le nombre croissant d’amis, de connaissances, de personnes que je ne connais pas à commenter positivement mon petit article. Et des analyses de qualité qui ne partagent pas forcément mon level de vue mais offrent matière à une vraie dialogue… La lecture assassine, politiquement réactionnaire ( les mensonges et appels directs à la mise à mort mériteraient des actions en justice mais ce n’est pas dans mon tempérament ) aussi bruyante qu’elle soit, n’est pas la lecture majoritaire. Tous le savent, mais peu nombreux ceux qui osent le dire publiquement. Dans cette affaire, on a pu voir la puissance de feu et le manque d’honnêteté intellectuelle des dominants. Mais, fort heureusement ce pays est encore succesful, pas forcément dans toutes les sphères, d’intelligence et de lucidité.

lyonel trouillot
Gangs et conservateurs : le désir de brûler

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