Loyers élevés, précarité et incertitude rythment le quotidien des déplacés.
Depuis plusieurs mois, le centre-ville de Port-au-Prince vit au rythme des tirs et des cris. Les gangs, devenus maîtres d’une vaste portion du bas de la ville, y ont instauré un climat de terreur qui a contraint des milliers de familles à fuir précipitamment leurs domiciles. Cette scenario a provoqué un déplacement massif vers les hauteurs de la capitale, notamment dans les quartiers de Delmas et de Pétion-Ville, transformés malgré eux en pôles de refuge et de commerce improvisés.
Mais cette réorganisation spatiale et sociale, imposée par la violence, n’est pas sans conséquence. Pour de nombreux déplacés, il ne s’agit pas d’un nouveau départ, mais plutôt d’un changement subi, synonyme de précarité, d’instabilité et d’angoisse permanente.
Dans de courts entretiens accordés à Juno7, quelques citoyens ont partagé leur désarroi. « J’ai dû quitter ma maison à Nazon, confie un père de famille. Aujourd’hui, je loue un petit appartement à Pétion-Ville pour 3 000 {dollars} américains l’année. J’ai tout mis dans le loyer, et je ne sais pas si je pourrai le renouveler. » Cette inquiétude est partagée par bon nombre de déplacés, pour qui la hausse soudaine des loyers dans ces zones refuges constitue une épreuve supplémentaire.
Au-delà des coûts exorbitants, beaucoup peinent à trouver des moyens de subsistance. « On ne peut pas faire du commerce ici comme on le faisait au centre-ville. Il y a moins de purchasers dans ce quartier, et les autorités ne nous donnent aucune aide », déplore une femme, vendeuse de vêtements, qui tente de reconstruire une activité économique fragile.
Pour ceux qui n’ont pas pu louer, la réalité est encore plus cruelle. Certains dorment à tour de rôle chez des amis ou des proches. « Kote m ka anfème kay frè m. Chak tan m pase yon kote m fè 2,3 jou oubyen yon mwa », a lâché un jeune de 31 ans.
D’autres vivent dans des abris précaires faits de tôles et de bâches, sans eau courante, sans latrines, et exposés aux intempéries. « On est des humains, pas des bêtes, mais on vit comme si on ne comptait pas », lâche une mère de trois enfants, les yeux pleins de fatigue à l’école nationale Argentine Bellegarde transformée en camp de fortune.
Les communes de Delmas et Pétion-Ville submergées par des déplacés
Dans ces situations déplorables, les maladies prolifèrent. Le choléra, par exemple, menace de frapper à nouveau, surtout chez les enfants, déjà fragilisés par le manque de soins, de nourriture et d’hygiène. Les déplacés, souvent invisibles pour les autorités, survivent dans une grande détresse, oubliés de tous.
Au-delà des pertes humaines, de l’insécurité permanente et des traumatismes, c’est toute la dynamique urbaine de Port-au-Prince qui se voit bouleversée. La ville se vide de son cœur économique historique, pendant que les zones d’altitude, déjà confrontées à leurs propres défis, doivent absorber un afflux de inhabitants sans les infrastructures nécessaires.
Ce déplacement forcé illustre la faillite de l’État à protéger ses citoyens et à assurer une stabilité minimale. Tandis que les gangs dictent leur loi dans le bas de la ville, les citoyens paient le prix fort d’un changement qu’ils n’ont ni voulu ni choisi.
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